lundi 11 mai 2009

Petits cailloux


Une bonne tasse de thé fumante posée sur la table basse en teck devant moi, je m’apretais à découvrir les cartes postales du lot acheté le matin même à mon petit bouquiniste des quais de Seine spécialisé dans le nord de la France.

Je me délectais à l’avance de l’émotion que ces prises de vue, anodines pour la plupart de mes congénères, allaient réssusciter en moi, impatient de retrouver la chaleur de mes souvenirs adolescents moi qui ne dispose que de si peu de temps.

Mince!

La tasse m'échappa des mains.

Je regardai, pétrifié, le thé se répandre sur mon tapis persan. Non je ne rêvais pas. C’était bien une carte postale de la rue des graviers!

Si je m’attendais!

Cette carte réanimait le seul souvenir que j’aurais voulu garder enfoui, que la vie est mal faite! Un, deux, trois petits cailloux gris lourds, si lourds dans ma main soudain affaiblie.

Tout me revint malgré moi. Les pièces du décor se remettèrent en place. En arrière plan l’Aisne qui coule imperturbable devant la haie d’honneur des peupliers dressés au garde à vous. Les petites maisons de pierres calcaires, grises et mouillées de chaque côté de la rue. Leur toit gris d’ardoise, luisants de pluie. Puis sur le devant de la scène, la bicyclette. Et crispées sur les poignées de cette bicyclette, ses mains. Et au bout, tout au bout de ses mains, son visage pâle, ruisselant et ses lèvres qui remuent imperceptiblement. Puis tout d’un coup, le son de ce qui devait pourtant être un chuchotement envahit la scène:

C’est fini, je ne t’aime plus, je te quitte.”

Un, deux, trois petits cailloux gris ramassés pour être jetés, trois petits cailloux gris pour ne pas crier et mon coeur en morceaux éparpillés, rue des graviers.

8 commentaires:

Nina a dit…

Très beau texte vibrant d'émotion!
La mémoire est terrible pour nous rappeller les douleurs enfouies...

Anonyme a dit…

Comme pour le petit Poucet, tous ces petits cailloux te mèneront vers une autre histoire (dans la mesure où celle-ci fût la tienne)... :-)
C'est une belle description d'un ressenti douloureux !

J'ai lu ton com chez Serge... un point commun !

noèse cogite a dit…

Beaucoup d'intensité dans ce que tu racontes..La fin d'un amour......
Cette blessure ne guéris jamais.
Mais un autre amour et il y a maintenant une légèreté de plus dans cette souffrance.
Mais quel hasard tout de même!

helianthine a dit…

Merci Nina! Ce n'est pas une douleur qui m'appartient (je ne peux pas non plus toutes les collectionner! :-) ) mais d'autres m'ont fait partager leur émotion...

Bérénice, effectivement cette histoire n'est pas la mienne, perspicacité féminine!

A Noèse, merci. Je ne sais pas de quel autre amour tu parles, mais que Dieu t'entende!

jean-claude a dit…

Ces graviers, ils me laçèrent la paume de la main. Pour un instant, vous nous y avez fait croire. La séparation, chose atroce qui nous flagèle, surtout quand elle arrive par surprise, comme si le sol s'effaçait sous nos pas. Suspendre la chute au dessus de l'abysse qui semble nous engloutir et sentir cette douleur du fond des temps.

Rom a dit…

Ce qui m'intéresse est moins la véracité d'un récit que l'émotion, bien réelle, qu'il véhicule. Ici, les cailloux atteignent leur cible.

Anonyme a dit…

Il est magnifique, ce texte sur la réminiscence ! Tout y semble si palpable, les couleurs, les sons, même l'odeur du thé...

helianthine a dit…

Je suis toute rouge d'émotion! Merci pour vos encouragements!